"Un magnifique livre, le pianto de l'incrédulité", disait Balzac, et Proust: "Senancour, c'est moi". Obermann fait en effet penser à un personnage de la Recherche qui n'aurait pas connu "le temps retrouvé" et il appartient à cette race de héros négatifs, d'athlètes du rien qui, de René à des Esseintes, Roquentin et Bardamu, poursuivent inlassablement leur voyage au bout de la nuit et de l'ennui: l'ennui que l'on appelait alors le mal du siècle et dont Senancour fut le prophète. Extraordinaire paysagiste, Senancour a fait aussi d'Obermann l'homme des hauteurs, l'homme du lac, du sapin et du glacier qui, dans la solitude des Alpes, voit les fleurs, "le barbeau des champs et la hâtive pâquerette comme l'expression d'une pensée dont le monde matériel voile le secret". "Ce serait assez de la jonquille et du jasmin pour me faire dire que, tels que nous sommes, nous pourrions séjourner dans un monde meilleur".