Germain Laisnel de la Salle était une des quatre ou cinq dernières personnes lettrées qui connaissaient à fond le vrai parler du paysan de chez nous, le français du Berry qui était un français particulier, très-ancien et longtemps inaltéré. Il avait mille originalités et mille grâces qu’on ne retrouve point ailleurs, et certaines locutions heureuses et bizarres dont nous n’avons nulle part l’équivalent. Le combat des philosophes contre la superstition avait relégué au rang des choses finies et méprisables tout le poétique bagage des croyances populaires, sans paraître se douter qu’il y avait là un gros chapitre essentiel dans l’histoire de la pensée. [...] Plus on recule dans le passé, plus la fiction tient de place; à ce point même qu’elle est la seule histoire des premiers âges. Elle seule nous révèle cet homme primitif qui semblait doué de peu de raison, mais qui s’éveillait à la vie intellectuelle par une horrible et magnifique exubérance d’imagination. Grâce à cette faculté, l’homme n’a jamais été un sauvage proprement dit, puisqu’il n’a pu devenir l’homme qu’à la condition de porter en lui un idéal, d’autant plus démesuré qu’il était plus ignorant des lois de la nature. C’est dans ce sens que les prodiges et les miracles ne sont pas de simples impostures. Les hallucinés sont des types humains très réels, et les merveilles du rêve sont encore des actes humains dont la suppression dans l’histoire anéantirait le sens de l’histoire. [...] Il n’en est pas moins urgent de dresser l’inventaire de ce merveilleux rustique, qui s’effacerait dans la nuit du passé, faute de poètes et d’historiens, et ce travail, mené à bien, a une importance sérieuse que ne diminue pas le charme ou l’amusement des fictions dont il traite. Laisnel de la Salle a jeté une vive lumière sur les croyances, au premier abord folles et bizarres, du paysan du Centre, il a su les rattacher pour la plupart aux anciens cultes de l’univers entier et leur restituer ainsi un sens logique dont elles semblaient dépourvues. Son livre est donc du plus grand intérêt pour les personnes instruites, non-seulement du Berry, mais de toutes les provinces et de tous les pays, car il n’est pas une de nos légendes qui n’ait ailleurs son équivalent sous un nom dérivé d’une source commune (extrait de la Préface de George Sand).Germain Laisnel de la Salle (1801-1871), est le grand ethnologue et folkloriste du Berry. Son œuvre majeure, Souvenirs du Vieux Temps, est réédité ici en deux tomes, en respectant sa version intégrale d’origine.